“ Les Carrières de Caumont ”
Il s'agit d'un dossier sur les anciennes carrières de craie situées dans la commune de Caumont, agglomération de Rouen.
Pour une première approche, nous aborderons trois carrières :
- Grandes Carrières
- Les Maquisards
- Le Pylône
Nous prendrons comme référence la carrière dite "Grandes Carrières" qui est la plus grande mais surtout dont l'histoire est la plus intéressante.
Géologie
La pierre de Caumont, la craie, est issue de la période du crétacé supérieur, et plus particulièrement à l'étage du Sénonien. Cette couche de craie dite "craie blanche à silex" affleure en Champagne et depuis le Nord Ouest du bassin parisien, jusqu'aux falaises d'Etretat.
Le Sénonien se sub-divise en quatre étages, dont le premier, le Conacien, forme la base de ses carrières. Il se caractérise par une pierre dure en bancs homogènes, très blanche (constitué de carbonates de chaux très purs) cette couche est la plus recherchée par les carriers, elle a fait la renommée de la pierre de Caumont, elle a d'ailleurs été appelée "Pierre Blanche de Caumont". Ce banc est ensuite surmonté d'une craie plus tendre attribuée à l'étage du Campanien, auquel se positionne un banc droit de silex noirs dit en "larmier" au vu de sa formation. Les terrains sont enfin recouvert d'argiles à silex et de limons.
L'exploitation
Les premières traces d'exploitations de la pierre dans la région de Caumont remonte à l'époque Gallo Romaine. Durant des générations, les carriers vont alors creuser la roche, d'abord à ciel ouvert, par facilité car la pierre affleure au sol. Puis en souterrain, la puissance du banc de craie étant tellement importante, que les premières bouches de cavages sont creusées à flanc de coteau, l'extraction permet alors de sortir des pierres plus importantes. De plus la proximité immédiate de la Seine est un argument très important, qui facilite l'expédition des blocs.
Pour citer quelques exemples, la pierre de Caumont a servi entre autre pour l'Abbaye Saint-Georges de Boscherville (Saint-Martin-de-Boscherville), l'Abbaye de l'Isle-Dieu (Perruel), la cathédrale Notre Dame du Havre, celle de Rouen, le Muséum d'histoire naturelle du Havre ainsi que beaucoup de monuments Rouennais et divers châteaux dans la région.
En souterrain, la méthode d'exploitation choisie est celle des piliers tournés, mais il y en a peu, c'est surtout les piliers de masse, c'est à dire uniquement de longues galeries. Les entrées de carrières sont impressionnantes, c'est très haut entre 30 et 40m, et au moins autant de large, on a véritablement exploité la masse jusqu'en haut. Par contre plus on s'enfonce dans la carrière et plus les hauteurs diminuent pour atteindre 4 à 5m de haut comme de large. L'exploitation de la pierre s'arrête au début du XXième siècle.
L'immensité de ces vides dés l'entrée rend la stabilité de la carrière très dangereuses à ces endroits, rappelons qu'il n'y a pas de travaux de consolidations, ces entrées sont situées à l'abrupt des falaises, les nombreuses diaclases qui traversent la roche ainsi que les importantes différences de température en font un risque d'effondrement très fort. Les effondrements sont d'ailleurs situés majoritairement à ces endroits et sont aussi impressionnants et spectaculaires que la hauteur de ses carrières.
L'usine Allemande
Voici l'une des caractéristiques qui fait de cette carrière, qu'elle soit "connue" ou du moins présentant un aspect historique et militaire.
Durant la Seconde Guerre Mondiale, les Allemands ont investi la carrière, et y ont construit une usine, nom de code Steinkohle 1301, afin de produire de l'oxygène liquide, comburant nécessaire pour alimenter ses fusées V2. L'objectif du V2 vise à détruire Londres en la bombardant, afin de couper les communications entre les Alliés et d'empêcher le débarquement en Normandie.
L'oxygène liquide a pour particularité de générer des gaz très chauds une fois qu'ils sont mis en combustion, ils sont éjectés beaucoup plus vite que n'importe quel autre comburant, ce qui a pour conséquence une bien meilleure propulsion.
Hitler entreprend dés 1942 un plan stratégique afin de produire ses V2 en série, cela nécessite la construction de plusieurs ouvrages en béton, les "Sonderbauten" doivent avoir trois rôles distincts :
- Une usine d'assemblage du V2 (Fuselage)
- Une usine de production d'oxygène liquide (Comburant)
- Une usine de stockage (Voir Carrière Hennocque)
Pour cela c'est l'organisation Todt qui prend en charge la construction de ces bunkers. Le site de Caumont est choisi pour sa proximité avec la Seine, et à l'avantage d'avoir des galeries relativement hautes et longues. Fin 1943, Le Bas Caumont est réquisitionné, la commune est vidée de tous ses habitants et le site se voit protéger, par la construction de batteries militaires anti-aériennes aux alentours. Les premiers travaux furent l'aménagement d'une voie ferrée afin de desservir le site et de la relier au réseau déjà existant. Les premiers travaux souterrains, donnent lieu à une inauguration par les hauts dignitaires de l'organisation Todt, ces travaux sont destinés tout d'abord à renforcer les galeries par des murs bétonnés, malheureusement la voûte du ciel s'effondra tuant et ensevelissant tout ceux présents.

Plan réalisé par François Bayeux
Rattrapé par le débarquement, le projet fut abandonné par Hitler en 1944, l'usine est alors à moitié construite. Aujourd'hui, il reste une énorme carcasse de 300m de long, représentant 20 000 tonnes de béton.
De l'autre côté de la Seine, à Dieppedalle Croisset, la Todt construisait également une autre usine identique à Caumont, nom de code, Granit 1308, seule différence c'est qu'il n'y avait pas de structure en béton et de fortifications à l'intérieur, le site est plus petit, lui aussi jamais achevé, les Allemands décideront d'en faire effondrer les entrées.
Champignonnière
Une partie de la carrière a été utilisée comme champignonnière de 1963 à 1966, celle-ci diffère de ce que l'on peut voir en général, dans l'immensité de ces vides, il est difficile de maintenir une température constante. Bruno Lepec, champignonniste, utilise alors des serres en plastiques maintenues au sol par des pieux en béton, à l'intérieur sont entassés des clayettes (caisses en bois) elles sont adaptées pour la culture en étage et s'empilent par cinq.
Aujourd'hui il ne reste presque plus rien, à part une gaine de ventilation au sol, quelques parpaings qui formait le bureau administratif et le local de stockage du fioul pour le chauffage.
Spéléologie
Les derniers visiteurs de Caumont sont les spéléologues, c'est aussi pourquoi on appellent plus communément ces carrières des "grottes". Les différents réseaux naturels qui traversent ces carrières (l'eau qui dissout la craie forme des vides que l'on nomme karst), ces boyaux de boue sont de véritable "plaisirs" pour le spéléo qui cherche sans cesse à découvrir et avancer au plus profond de ces cavités.
Sources :
- BRGM
- La Pierre de Vernon
- François Bayeux
Remerciements :
Je tiens à remercier tout spécialement, François Bayeux, qui m'a accompagné et a permis cette visite, en plus de son temps passé sur la compréhension de l'usine Allemande ainsi que ses nombreux conseils. En contrepartie, j'espère l'avoir "éclairé" davantage sur la photo en souterrain, quoiqu'il en soit, nous y avons gagné en partage et en amitié.
Cette page est dédiée à sa mémoire.